6 sens

  On ne m'a jamais dit, comme à tant d'autres femmes, 
Ces mots troublants et chauds qui fascinent les âmes ;
On ne m'a pas chanté sur des airs inconnus
Ces poèmes anciens, ces serments convenus,
Aussi furtifs qu'un vent, aussi vieux que le monde.
On n'a pas comparé la nuit triste et profonde
A mes yeux grands ouverts et je n'ai pu savoir
Si le soleil parfois s'en faisait un miroir.
Mes cheveux sont-ils flous sous le feu des lumières ?
Mon teint possède-t-il le rose des bruyères ?
Mon front est-il taillé dans un marbre trop beau ?
Mes sourcils aussi noirs qu'une aile de corbeau ? 
Ma bouche est-elle rouge ainsi qu'une cerise ?
Mon nez grec ou latin ? Ai-je un pied de marquise ?
Ai-je le col d'un cygne ? Un velours sur ma main ?
On ne me l'a pas dit. Non, jamais être humain
Pour moi m'a répété ces mensonges habiles
Que l'amour dicte à l'homme et que les cœurs dociles ?
Se chantent à mi-voix tout en m'y croyant pas.
Aux sauvages qui vont étouffant leur pas
Se perdre en la forêt âpre et mystérieuse,
Ivres de liberté, de vie aventureuse,
On ne va pas offrir de la soie ou de l'or
Ou confier en paix la garde d'un trésor.
À l'être décevant, au caractère étrange, 
la fois de démon, d'enfant, de femme et d'ange,
À ce cœur indompté, farouche et trop muet
Et qui ne livre pas son intime secret,
avec des gestes doux et des paroles vaines,
On ne va pas offrir des tendresses humaines. 
Et pourtant sans comprendre au seuil de certain jour
Je sens crier en moi le nostalgique amour.


Céline Chabot

Mer 7 mai 2008 Aucun commentaire